Le 26 juin dernier, la 6ème édition de la conférence A11Y Paris s’est tenue aux Salons de l’Aveyron. L’événement a rassemblé plus de 40 intervenants et animateurs d’ateliers autour d’un enjeu crucial : l’accessibilité numérique. Une journée dense et inspirante, durant laquelle institutions, entreprises et experts ont partagé constats, chiffres clés, initiatives et perspectives d’action.

Ouverture : « Pas seulement une question de conformité »

La journée a démarré avec une introduction posant le ton : l’accessibilité ne doit pas être réduite à une obligation réglementaire. Nicolas Pesquidous (Crédit Agricole) a rappelé que l’accessibilité est avant tout un droit, celui à l’accès équitable à l’information pour tous. Aujourd’hui, seulement 30 % des services en ligne sont accessibles, le chemin est encore long. La loi est un accélérateur pour se mettre en conformité. « Nous accompagnons chaque client, quelle que soit sa situation », affirme-t-il. « Chaque individu doit avoir un accès équitable à nos site, qu’il soit client comme collaborateur »

Les développeurs, designers et décideurs ont un rôle crucial à jouer : intégrer en amont les enjeux d’accessibilité afin de permettre à tous de relever les défis numériques.

Focus chiffres : l’accessibilité dans la banque et l’e-commerce

Katie Durand et Denis Boulay, de la Fédération des Aveugles et Amblyopes de France, ont présenté les résultats de leur observatoire. Leur étude se base sur ce que les sites web disent de leur accessibilité, et non sur la véracité des informations publiées.
Leurs objectifs sont les suivants : 

  • Alerter sur la faible prise en compte des besoins des utilisateurs ayant une défiance
  • Identifier les secteurs ayant besoin d’une attention particulière 
  • Mesurer l’évolution

En Juin 2025, sur 7309 sites contrôlés, seuls 264 respectent les obligations déclaratives d’affichage (soit environ 3%). Le secteur public est peu exemplaire : 202 sites respectent les obligations d’affichages sur les 5938 sites contrôlés (soit environ 3% également).

Dans le privé bancaire, les chiffres sont tout aussi parlants : 132 entités ont été auditées, aucune entité n’est en totale conformité. Le secteur e-commerce affiche un constat similaire avec 610 entités membre de la FEVAD ont été analysées, parmi eux des sites proposant tous types de produit : habillement et accessoires, maison et décoration, alimentation et gastronomie, hygiène et beauté sont les 4 sous catégories principales. Et encore une fois, aucun n’est conforme.L’observatoire est un véritable levier de prise de conscience pour la Fédération, ils souhaitent au cours de l’année à venir optimiser l’outil en mettant en place de nouvelles fonctionnalités. À suivre…

Ressource : Site de l’observatoire

L’accessibilité numérique : un cadre juridique en évolution

Nicolas Rohfritsch (Hogan Lovells) a apporté un éclairage précis sur les directives européennes :

  • WAD (2016/102/UE) sur les sites publics et certains sites internets et applications privés (+ de 250 millions/an de C.A. en France). Malheureusement les acteurs se sont révélés réfractaires et peu enclins à montrer le mouvement. 
  • EAA (2019/882/UE) sur l’accessibilité des produits et services entrera en application ce samedi 28 Juin 2025. En 2023, la transposition de l’EAA en France accuse déjà un retard de près de 15 mois. Tous les nouveaux produits ou services doivent être conformes et compréhensibles pour une personne ayant un niveau de français équivalent au B2. En cas de non respect, la sanction de l’EAA correspond à une amende de 5è classe (7500€), avec des augmentations en cas de récidive et de potentiels frais journaliers supplémentaires (montant non fixé).
    Les sites e-commerces doivent également fournir les informations relatives à l’utilisabilité des produits (ex: notices, etc.)

Ces deux textes étant toujours en vigueur, les deux lois restent applicables, c’est-à-dire que l’EAA ne remplace pas la WAD. 

Au niveau des acteurs de contrôles, ils seront 5 en France : DGCCRF, AMS, ACPR, ARCEP et ARCOM à intervenir en fonction du secteur d’activité. 

Pour rappel, les ERP et sites B2B ne sont pas concernés. 

Les associations ne sont pas directement concernées, sauf celles qui sont  dépendantes de subventions publiques qui, dans ce cas, doivent se rendre accessibles. 

Quel rôle pour la DGCCRF ?

Jessica Ramani a confirmé qu’en fonction du secteur d’activité du site la DGCCRF pourra être habilité seule ou en collaboration avec une autre entité de contrôle. Elle a également confirmé le processus  de contrôle de la DGCCRF :

  • Avertissements via un courrier officiel pour rappeler les manquements
  • Courriers d’injonction avec délais de mise en conformité
  • Sanctions pénales et publiées (jusqu’à 15 000 € pour une personne physique, 75 000 € pour une personne morale). Une sanction ne concerne qu’un seul site ou application. 
  • La DGCCRF rappelle qu’en cas de contrôle d’un site conforme, aucun bilan, ni rapport ne sera transmis. 

En 2025, la DGCCRF suit son programme sur le domaine des transports, en 2026 : d’autres secteurs seront au cœur des contrôles. Ils examineront également toutes les demandes émises sur Signal Conso.  

Les équipes sont polyvalentes et spécialisées par secteur d’activité, mais font face à un manque de moyens humains et techniques. La DGCCRF est en train de concevoir un outil leur permettant d’effectuer un audit plus rapidement. Ils forment également un pourcentage de leurs auditeurs à l’accessibilité numérique même s’ils assurent que ce n’est pas requis pour analyser des déclaration d’accessibilité ou d’audits.

Concernant les sites multilingues au sein de l’Europe, la DGCCRF confirme que des échanges sont en cours avec les services des États membres afin d’harmoniser les processus.

La loi du 28 juin 2025 n’a pas pour vocation de modifier les accords en matière d’accessibilité dans les contrats de prestation de service. Ce sera cependant le cas en 2030.

Le RGAA évolue : la version 5.0 devrait par exemple intégrer le mobile.

Feuille de route de l’ARCOM

Laurence Pecaut Rivolier a partagé les avancées du régulateur des médias :

  • Sont en charge du contrôle des service de média audiovisuel, des livres numériques et logiciels de lecture
  • 22 signalements reçus ont entrainé 22 interventions de l’ARCOM. Toutes les entreprises contactées ont effectué des actions. 

ARCOM travaille avec la DGCCRF et la DINUM pour mettre en place un outil de contrôle leur permettant la poursuite et l’intensification des contrôles. Objectif : 2000 contrôles annuels.

L’ARCOM publie également des réponses aux questions les plus posées par les auditeurs afin d’améliorer la compréhension et l’analyse des textes.

AccessibilityOps : comment changer d’échelle ?

Anne-Sophie Tranchet (Beta.Gouv) a présenté la stratégie mise en place afin de sensibiliser et fédérer autour de l’accessibilité en défendant les idées reçues : 

  • « L’accessibilité n’est pas compatible avec notre organisation. »
  • « L’accessibilité, on ne sait pas comment faire »
  • « L’accessibilité, on va s’en occuper, mais plus tard »

Elle se pose au final la question: Faut-il des experts accessibilité dans chaque équipe ? et arrive à la conclusion que cela peut créer une mauvaise dynamique, une perte des savoir et que ce n’est pas possible pour les toutes petites équipes. Son objectif devient Faire monter (beaucoup) de gens (un peu) en compétence. La sensibilisation à grande échelle est un échec, un plus petit format de base de connaissance très actionnable et concret permet, in fine, d’apprendre à chacun à se poser les bonnes questions face aux problématiques d’accessibilité en sachant qu’il n’y aura pas forcément un expert à ses côtés. Rendre l’accessibilité visible à travers 3 leviers : des KPI et reporting pour convaincre la hiérarchie sur les moment stratégique, vie des formats court et léger en présentiel et en partageant une veille et des contenus ludiques régulièrement sur les réseaux collaborateurs. 

Elle souligne aussi les limites du RGAA, peu représentatif en termes de coût réel pour les audits. Les tests automatiques sont souvent inadaptés. Elle encourage à évaluer plutôt l’expérience utilisateur. Un protocole d’inspection trop strict peut décourager, elle propose la mise en place d’atelier Easycheck : un document permettant d’analyser 3 pages suffit déjà à ouvrir un débat. On va par exemple beaucoup plus parler de pertinence et de criticité plutôt que de la validité d’un critère. Il faut trouver le bon équilibre entre « bloquant » et « gênant ».

Résultat : beaucoup d’audits obtiennent un score entre « faible » et « correct », car le RGAA ne reflète pas les réalités terrain.

Elle résume : le métier d’Accessibility Ops, c’est cinq métiers en un ! Et surtout, éviter le perfectionnisme qui peut être une mauvaise approche de l’accessibilité.

Comment s’organise le secteur du e-commerce ?

Un format table ronde très concrète qui regroupe :

  • SNCF Connect & Tech: une personne aveugle intervient une journée par semaine pour tester les parcours réels. Une manière d’incarner le handicap et de rendre les interfaces conformes et utilisables.
  • Carrefour : L’accessibilité intègre le plan 2026, avec la mise en place d’un plan pour informer les équipes. Dès cette année, les tests  d’usages sont tournés à 100% vers les clients.
  • Leboncoin : formation de 200 collaborateurs (au sein des pôles design, front, iOS, Android). Un audit a lancé la démarche, mais sans formation en interne, c’était impossible d’aller plus loin et de définir les actions.
  • Fnac Darty : problématiques similaires à Leboncoin. Il faut sensibiliser tous les profils, pour faire de chaque collaborateur un allié de l’accessibilité.

Les entreprises doivent être engagées durablement avec les associations. Mais cela ne suffit pas : il faut aussi un soutien de la direction, un plan directeur et du budget, sinon rien ne se passe.

Le Design System est présenté comme un accélérateur pour initier les démarches. Mais il reste très difficile d’associer un ROI car il faut de la patience : les personnes handicapées ne vont pas immédiatement vers les interfaces nouvellement accessibles. Elles doivent déjà faire évoluer leurs habitudes. 

Centraliser les compétences et les intégrer dans tous les processus est essentiel : sinon, le turnover peut faire perdre toute la connaissance. La temporalité est également un facteur important pour que les services puissent obtenir et débloquer des budgets au bon moment.

Plusieurs visions existent ensuite. SNCF Connect & Tech tient à se faire auditer par un organisme externe tous les ans afin de rester dans l’action et d’éviter une montagne de non conformité qui peut être démotivante. Leboncoin souhaite, quant à lui, internaliser le processsus d’audit car les budgets alloués ne sont pas extensibles.

Accessibilité numérique et secteur bancaire

  • La Banque Postale : expérimente un produit de carte bleue vocalisée.
  • BNP, Société Générale & Crédit Mutuel : mutualisation des automates autour de la marque Cashservices.
  • CB travaille également sur la création d’un TPE accessible.

Ils ont également tous une problématique transversale : les communications actuelles sont trop complexes. La loi impose que les documents soient compréhensibles pour tout individu ayant un langage de Niveau B2. Il faut passer à la méthode FALC (Facile à lire et à comprendre).

La prochaine étape pour tous : la conduite du changement.

REX d’un référent concerné : TF1

Kevin Bustamante, référent accessibilité numérique chez TF1 et lui-même déficient visuel, livre un témoignage fort :

« Le numérique est un véritable levier d’autonomie. Il doit donc être accessible. »

À travers l’histoire de son parcours, il explique les problématiques de devenir formateur et support technique pour accompagner universités et enseignants auprès desquels il est étudiant.

Les entreprises veulent avancer mais ne savent pas comment. Trop souvent, c’est aux personnes malvoyantes de s’adapter, alors que ce devrait être l’inverse. La sensibilisation en entreprise est plus facile, les personnes sont à l’écoute et comprennent les bénéfices : 

  • Workshops hebdomadaires de 30 minutes maximum
  • Questionner les évidences : « Qu’est-ce que l’accessibilité ? Est-ce que ça va vous intéresser ? »
  • Rendre les livrables accessibles, que ce soit sur Jira, Figma ou autre
  • Penser usage avant effet « waouh », viser la simplicité

« On en a marre d’attendre, il est temps d’agir et vite » affirme -t-il. il donne également quelques conseils aux référents accessibilité :

  • Fixer des objectifs réguliers
  • Présenter l’accessibilité de façon positive et efficace, c’est donner envie pour permettre de passer à l’action

Clôture

Les représentants de l’organisation d’A11Y Paris prennent enfin la parole pour parler des évolutions à venir au sein de l’association. La mobilisation collective progresse, les organisations évoluent, mais il reste encore beaucoup à faire. La 6e édition d’A11Y Paris a montré une chose : les solutions existent, il faut maintenant les mettre en place afin de permettre à tous de naviguer et d’accéder à une information de façon juste.